Sonntag, 2. März 2014

Der Maler des modernen Lebens


















Pendant dix ans, j’ai désiré faire la connaissance de M. G.,
qui est, par nature, très voyageur et très cosmopolite. Je
savais qu’il avait été longtemps attaché à un journal anglais
illustré, et qu’on y avait publié des gravures d’après ses cro-
quis de voyage (Espagne, Turquie, Crimée). J’ai vu depuis
lors une masse considérable de ces dessins improvisés sur les
lieux mêmes, et j’ai pu lire ainsi un compte rendu minutieux
et journalier de la campagne de Crimée, bien préférable à
tout autre. Le même journal avait aussi publié, toujours sans
signature, de nombreuses compositions du même auteur, d’a-
près les ballets et les opéras nouveaux.


















Constantin Guys, Bataille de Balaklava, 25 octobre 1854.

Lorsque enfin je le trouvai, je vis tout d’abord que je n’avais
pas affaire précisément à un artiste, mais plutôt à un homme
du monde. Entendez ici, je vous prie, le mot artiste dans un
sens très restreint, et le mot homme du monde dans un sens
très étendu. Homme du monde, c’est-à-dire homme du monde
entier, homme qui comprend le monde et les raisons mystéri-
euses et légitimes de tous ses usages; artiste, c’est-à-dire spé-
cialiste, homme attaché à sa palette comme le serf à la glèbe.
M. G. n’aime pas être appelé artiste. N’a-t-il pas un peu rai-
son? Il s’intéresse au monde entier; il veut savoir, comprendre,
apprécier tout ce qui se passe à la surface de notre sphéroïde.


















Constantin Guys, Blessés turcs, janvier 1855.

L’artiste vit très peu, ou même pas du tout, dans le monde
moral et politique. Celui qui habite dans le quartier Breda
ignore ce qui se passe dans le faubourg Saint-Germain. Sauf
deux ou trois exceptions qu’il est inutile de nommer, la plu-
part des artistes sont, il faut bien le dire, des brutes très
adroites, de purs manœuvres, des intelligences de village,
des cervelles de hameau. Leur conversation, forcément bor-
née à un cercle très étroit, devient très vite insupportable à
l’homme du monde, au citoyen spirituel de l’univers.

Charles Baudelaire (1863)